Séance solennelle de rentrée des cinq académies : différence j’écris ton nom

Malgré l’épidémie de Covid-19, l’Institut de France a souhaité perpétuer ses traditions en maintenant sa séance solennelle de rentrée des cinq académies qui s’est déroulée le mardi 27 octobre sur sa chaîne YouTube. Un moment fort de la vie intellectuelle française réunissant les délégués des cinq académies* qui ont chacun prononcé un discours sur le thème de la « Différence ». Un programme ambitieux en ces temps troublés où s’exerce la tentation du repli sur soi.

Présidée par Jean Anguera, Président de l’Académie des beaux-arts et Président de l’Institut de France, la cérémonie s’est déroulée en grande salle des séances parmi les boiseries et les statues des intellectuels qui ont bâti la France des lumières.

Jean Anguera introduisit le thème de la différence et c’est avec émotion que nous avons saisi au vol cette très jolie phrase qui ponctua son introduction : il y a toujours au fond de nous une origine qui nous unit.

Un plaidoyer en faveur de la  tolérance suivi par le discours de Jean-François Mattei, délégué de l’Académie des Sciences morales et politiques, qui évoqua les différents modes de confiance. Alors que la pandémie a bousculé nos repères entre le renoncement et la force d’espérer, la confiance serait-elle l’antidote de nos craintes ? Profondément reliée à nos émotions, la confiance est un lien fragile qu’il convient d’entretenir car elle peut rapidement se déliter voire être trahie. Etre confiant, ne se décrète ni ne se calcule, précise Jean-François Mattei. La confiance est aussi une responsabilité qui revient à l’éducation et notamment à celle dispensée par les parents. En homme de science qui consacra sa vie à la santé humaine, Jean-François Mattei évoqua ce lien ténu existant entre le patient et le médecin, le définissant comme la rencontre d’une confiance (celle du patient) et d’une conscience (celle du médecin). Garante de l’humanité dans toutes ses différences, la confiance rend donc possible notre vie en société.

Le second discours revint à Philippe Garel, délégué de l’Académie des beaux-arts, qui narra avec lyrisme les guerres de clochers qui émaillèrent l’histoire de la peinture française. L’occasion de découvrir les liens hostiles qui unirent les deux grands peintres du 19ème siècle que furent Ingres et Delacroix. Alors que Delacroix se plongeait avec délectation dans l’enfer du désir, le tranquille Ingres, en apôtre de la beauté idéale, lui préférait les eaux dormantes. Deux différences très marquées qui néanmoins ne nous éloignent ni de l’un, ni de l’autre. Car en art est-il nécessaire de comprendre ? Le présent manque de place, ce qui importe c’est l’étonnement face à la peinture. Si cet enchantement s’éteint ne demeure qu’une image. Une image nue.

Yvan Le Maho, délégué de l’Académie des sciences, ravit les téléspectateurs en explorant les différences et les similitudes parmi les animaux. Le passereau migrateur qui survole le Sahara diffère du manchot empereur de l’hiver polaire. Et pourtant ces deux espèces ont en commun de jeuner et de ne pas pouvoir boire. Ils doivent tous deux économiser leur eau corporelle. Et qu’en est-il du placide dromadaire perçu comme le champion de l’économie de l’eau ? Lui aussi stocke la chaleur aux heures les plus chaudes de la journée évitant ainsi la surchauffe de son cerveau. Chaque espèce animale diffère des autres en étant un assemblage unique de fonctions mais pourtant la plupart de ces fonctions peuvent être retrouvées chez d’autres espèces très différentes vivant dans des conditions très différentes.

Pour le 4ème discours, Dominique Barthélemy, délégué de l’Académie des inscriptions et belles lettres, nous offrit un voyage dans le temps. Celui de la chevalerie française qui a bien l’écouter ne fut pas la seule car l’Orient aussi sut faire éclore sa propre chevalerie. Certes le jeune chevalier français se délectait de l’amour et ne souhaitait pas perdre son temps avec la haine mais des tropismes chevaleresques ont aussi séduit les sarrasins et il existe des traces de récits chevaleresques chez les samouraïs du Japon. Rien n’est plus subjectif que l’inventaire des différences rajoute Dominique Barthélémy ému de conclure en citant Marc Bloch, résistant de la seconde guerre mondiale : le passé lointain inspire le sens et le respect des différences entre les hommes, en même temps qu’il affine la sensibilité à la poésie des destinées humaines.

Enfin, le dernier discours revint à l’Académie française et à sa déléguée Barbara Cassin qui en éminente philosophe sut composer avec virtuosité sur la différence et les différences. Un puzzle intellectuel au cours duquel elle convoqua Deridda, Deleuze, Hannah Arendt et nous rappela combien nous avons besoin de la singularité et de la force des langues. Il y a des langues et des hommes et c’est avec ce pluriel que tout commence, conclut-elle.

La cérémonie se clôtura sur la remise des Grands Prix des Fondations qui devait se dérouler en juin 2020. L’occasion pour Xavier Darcos, Chancelier de l’Institut de France, de rappeler l’action philanthropique de l’Institut de France et l’impérieuse nécessité de mettre à l’honneur les œuvres sociales qui ont tenté de réduire la fracture du confinement. Quant à la littérature elle ne fut pas oubliée puisque le prix Mondial Cino Del Duca de la Fondation Simone et Cino Del Duca revint cette année à la grande femme de lettres américaine Joyce Carol Oates pour l’ensemble de son œuvre.

Le mot de la fin lui revient : « car c’est cela l’amour, une protection contre le mal. Si le mal arrive, l’amour était insuffisant».

*Académie française, Académie des sciences, Académie des sciences morales et politiques, Académie des inscriptions et belles lettres, Académie des beaux-arts

Vidéo de la séance Solennelle :