Les académiciens s’étonnent de l’étonnement lors de leur séance publique annuelle à l’Institut de France

Fidèle à sa tradition, l’Institut de France a réuni le mardi 23 octobre ses cinq Académies lors d’une séance publique placée sous le signe d’un savoir aussi rare que précieux. Cette année, c’est sur la notion d’étonnement qu’ont choisi de s’exprimer les Académiciens au cours d’une cérémonie présidée par Monsieur Jean-Louis Ferrary, Président de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et Président de l’Institut de France. L’étonnement, qui fut mis en lumière, fut celui qui relève de la surprise, qui peut se mêler d’admiration, mais implique aussi une forme d’ébranlement.

C’est à Haïm Korsia, délégué de l’Académie des sciences morales et politiques et grand Rabbin de France, que revint l’honneur d’ouvrir la réflexion et de décliner sa vision de «L’homme étonnement de Dieu». Qu’est-ce que l’étonnement du Créateur, celui qui sait tout ? Etre étonné signifie aussi s’émerveiller et sans cet émerveillement notre attitude serait celle du simple consommateur. Or nous sommes bien plus. L’étonnement serait donc le propre de l’homme car apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est aussi reconnaître sa propre ignorance. Et parce qu’ils la reconnaissent mais ne l’admettent ni ne s’en satisfont, les hommes travaillent sur le monde pour le réinventer à leur mesure. De l’étonnement, ils s’en font une échelle vers le ciel. Sans étonnement, pas de recherche, pas de progrès, pas de foi. Mais Dieu, Lui, peut-il reconnaître sa propre ignorance ? À moins que pour lui aussi, il en aille de la foi…en l’Homme. Car il existe des «phénomènes» que même la recherche et la raison ne peuvent expliquer et que seule la foi peut permettre d’appréhender. On peut penser que les notions : étonnement et Dieu, sont antinomiques, mais que serait Dieu privé de la plus fondamentale des capacités humaines, celle qui fait de lui ce qu’il est et ce qu’il peut sans cesse devenir ?

Ce fut ensuite Brigitte Terziev, déléguée de l’Académie des beaux-arts, qui évoqua avec sensibilité l’étonnement face à une œuvre d’art. Aujourd’hui dans un musée, qu’est-ce qui peut encore étonner un visiteur devant une œuvre d’art, cet étonnement qui fait perdre les repères, provoque un choc frontal, violente l’imaginaire ? Pour procurer un étonnement de masse, deux grands «casseurs» du 20ème siècle ont voulu sciemment éprouver le public : Marcel Duchamp et Pablo Picasso qui profana en peinture la morphologie du visage. L’étonnement est à la base de toute création artistique et l’étonnement du regard est un voyage.

Puis, la parole fut prise par Yves Agid, délégué de l’Académie des sciences, qui à l’aide d’une subtile alchimie entre humour et savoir développa l’idée que sans étonnement la science n’était que ruine de la science. Une idée qu’il étaya de nombreux exemples en s’appuyant sur les recherches de Galilée et celles plus récentes sur les neurosciences. En quoi la capacité d’étonnement est-elle la base indispensable de toute pensée scientifique ? L’étonnement, c’est l’apparition soudaine d’une idée nouvelle ou inattendue. C’est une émotion, une surprise, mais une surprise qui est ensuite prise en charge par la raison. L’étonnement, c’est donc l’émotion qui amène à faire des hypothèses. Le scientifique ne se dit pas « c’est comme ça parce que c’est comme ça ». Il cherche à savoir pourquoi c’est comme ça. C’est pour cette raison que le scientifique est toujours capable de s’étonner.

Le 4ème intervenant fut Jean-Yves Tilliette, délégué de l’Académie des inscriptions et belles lettres. Ce philologue et médiéviste fit un discours très érudit sur les hommes du Moyen-Âge devant la Création. A partir de rapprochements étymologiques et à l’aide de la poésie Jean-Yves Tilliette rappela à quel point l’étonnement pour les Anciens fut partie liée avec le visuel. 

La séance prit fin sur l’intervention de Michael Edwards, délégué de l’Académie française. En tant que poète et philosophe, ce britannique au cœur français évoqua la beauté étonnante du réel. C’est au réel et non à l’artiste qu’il faut dire «Étonne-moi». Nous sommes facilement étonnés par un phénomène insolite, or l’étonnement par le réel ordinaire nous éveille autrement. Le nouveau nous étonne, mais l’ancien, vu sous une lumière nouvelle, nous étonne en profondeur. L’étonnement est une capacité de l’être qui permet entre la réalité et nous une relation admirative. L’étonnement est salutaire. Il nous révèle le malheur ainsi que le bonheur de vivre.

De manière exceptionnelle, la séance s’acheva sur un hommage rendu au poète René de Obaldia de l’Académie française qui fêtait ses 100 ans. Le grand poète à l’œil toujours étonné remercia chaleureusement ses pairs pour cette attention. Mais un hommage réussi n’est rien sans musique et c’est donc sur un récital pour chœur mixte, où furent mis en voix 4 poèmes de René de Obaldia, que prit fin cette cérémonie où s’exprimèrent les forces de l’esprit.

Retrouvez et téléchargez sur le site de l’Institut de France l’intégralité des discours des académiciens.