Aller derrière tous les nuages, contempler toutes les couleurs du ciel …

Découvrez ce nouvel extrait du manuscrit de Danièle Hermann « Les mots de Danièle ». Dans cet extrait écrit avec une plume sensible et exaltée, Danièle Hermann lance à la vie une déclaration d’amour aussi enflammée que désespérée. Camus écrivait « Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre ». Cet appétit désordonné de vivre, en dépit de la souffrance occasionnée par la maladie cardiaque, était également celui de Danièle Hermann. 

« Je suis assise à la terrasse d’un café. Je vais beaucoup dans les cafés. J’aime me voir assise dans un café. Assise à ne rien faire. Assise dans la paix de l’oisiveté. Assise à siroter un thé. Assise à égrener les minutes qui passent.

Je suis assise à la terrasse d’un café et je les vois passer, eux, les autres, les gens. Ils ont tous une histoire. Chacun d’eux est une histoire. Chaque corps qui passe. Je le  regarde.

Et c’est dans ces corps débarrassés de tout le fatras et l’encombrement de leur culture, leur religion, leur patrie, leur rang social, leur argent, ces corps dans leur nudité première, c’est dans leur chair, c’est dans ce regard là que j’ai pour eux, que je ressens tant de bienveillance, tant de douceur.

C’est là que je ressens que je suis eux. De la tendresse, oui de la tendresse.

Rechercher le goût des choses. Saisir l’insaisissable. L’instant, la seconde avant qu’elle ne passe. La saisir et la garder plus longtemps que son temps à être. L’imprimer dans ma peau à jamais. Chercher la vie partout, l’immobiliser pour m’en emparer avec avidité.

Plus qu’écrire, vivre. Plus que lire, vivre. Plus qu’avoir, vivre. Vivre avec au ventre le désespoir de ne pouvoir m’approprier ce moment à vivre qui passe. Ce corps à vivre. Ce corps qui est du temps. Du temps

Mettre la vie dans un bocal et la contempler comme on contemplerait la plus belle oeuvre d’art qui ne saurait jamais exister. La contempler jusqu’à la folie. Jusqu’à l’orgasme. Jusqu’à en mourir.

Car comment contempler la vie de tous ses yeux, de tous ses sens et revenir intact dans le quotidien.

Flâner, perdre des heures pour mieux les gagner. Dépasser le mur du son, entrer dans tous les miroirs, aller derrière tous les nuages, contempler toutes les couleurs du ciel, se laisser éblouir par tous les soleils, se mouiller à toutes les pluies, goûter à toutes les saveurs, sentir toutes les odeurs, caresser toutes les soies, s’immerger dans toutes les mers, s’abandonner à toutes les douleurs pour ressentir la vie dans ce corps.

Toujours plus de vie dans ce corps- moi.

Rechercher l’ennui, l’ennui absolu pour allonger, pour aller au bout du temps…

S’y couler avec délectation. Se perdre dans ce temps, un temps qui s’écoulerait au goutte-à-goutte. Et se noyer dans chacune de ces gouttes.

Ah ! Vivre. Je suis folle de vivre. Je suis droguée, je suis accro à la vie, je n’en peux plus de cet amour là. Cet amour de vivre. Jusqu’à l’extase. »

Danièle Hermann, copyright « tous droits réservés »