Le fauteuil oui, le lit jamais …

Découvrez ce nouvel extrait du manuscrit « Les mots de Danièle »

« Ne jamais rien lâcher. Ne jamais rien montrer. Ne jamais baisser les bras. Ne jamais se brader. Ne jamais céder, même à la tentation, même à l’idée de la tentation du repos. Pas une fois. Justement cette fois là. Cette fois de trop. Tu le sais Danièle, il y aura une fois de trop. Et il ne peut y avoir une fois de trop. Au fond de toi tu le sais, n’est-ce pas ?

N’est-ce pas ?

S’habiller, se couvrir, s’affubler, ficeler, dissimuler, escamoter, déguiser, travestir, orner, camoufler, emmitoufler, colorer, grimer, farder…

Quitte à m’écrouler le rideau tiré.

Je m’écroule. Jean-Pierre, mon mari ramasse les morceaux. Il les recolle, en prend soin. Il participe au jeu, au mensonge. Il s’y emploie avec moi. Toujours.      

J’arrivais chez nos amis. J’entre gaiement pendue à son bras.

Quoi, une autre ? Oui, une autre. Et moi, étonnée de cette métamorphose. Toujours. De ce numéro de haute voltige.                                                                                 

 D’où me venait-t-elle cette force inouïe, inattendue ?  Cette possibilité de sourire, de parler, de m’intéresser à toutes choses, une douleur intenable au creux de ce corps.

D’où me venait-t-elle ?

Il fallait bien qu’elle vînt de quelque part, cette vigueur- là. Elle semble m’appartenir si peu. Elle parait illimitée, tant j’y puisais exagérément. Tant ces possibilités chaque fois me surprenaient.

Vous savez, ce n’est pas si fragile un corps. Que de rebondissements, d’adaptation, de puissance, de dépassement, de bonnes intentions il renferme. Je lui faisais confiance, il ne pouvait pas me lâcher. Je ne le voulais pas.

Dans le silence, je l’écoute, je lui parle à ce corps. Il y a lui et il y a moi.

Je lui parle à celui que je considérais alors, encore, comme une géniale machine, mi-usine, mi-ordinateur, aux ressorts qui se tendaient… Et plus rarement, se détendaient.

Pourtant, il en aurait eu besoin ce corps, de se détendre. De lâcher prise. Mais je ne savais pas, je ne savais plus comment lui offrir ce repos. Je m’employais à faire tout le contraire. Le fauteuil oui, le lit jamais.

Ou, acculée.

Et, pour avancer au rythme auquel je prétendais, je n’étais plus que tension, poings fermés, mâchoire serrée, mauvaise humeur. Arc-boutée sur moi-même, bandant ma volonté, forçant l’allure, forçant la cadence.

Sans cesse à prendre sur moi, à prendre le dessus, j’avais désappris totalement ce qui était l’abandon de soi. Je m’accrochais à mon fil. Prête à bondir, à me lever, à marcher. À me faire fonctionner.

Il me semble que j’aimais ce combat, où je n’étais plus qu’un champ de bataille. Ne faisant plus rien, il captait toute mon attention, mon ambition. Il était mon défi. » Danièle Hermann copyright tous droits réservés