Le chaos : un thème fort et contemporain pour la séance de rentrée des 5 Académies à l’Institut de France

Fidèle à sa tradition qui est de perpétuer, soutenir et éclairer, l’Institut de France a réuni ses 5 Académies lors d’une séance solennelle qui s’est déroulée le lundi 21 octobre. Présidée par Pierre Corvol de l’Académie des sciences cette séance solennelle était placée sous l’impulsion d’un thème fort et toujours d’actualité : le chaos. Pour mettre en mots ce chaos cinq académiciens ont été désignés par leurs pairs afin de présenter leur vision du chaos, de ses origines à ses manifestations actuelles.

 

Ce fut à Jacques de Larosière de l’Académie des sciences morales et politiques que revint le privilège du premier discours. Eminent spécialiste du monde financier, Jacques de la Rosière a rappelé la définition du chaos : un état de confusion général menant à l’inintelligible. Ce qui conduit nos sociétés contemporaines à susciter le chaos fut le questionnement au cœur de son raisonnement. Un raisonnement étayé par 3 leviers : la monnaie, la famille et l’environnement. Fort de son expérience, Jacques de la Rosière évoqua la monnaie en tant que fondement de l’ordre social ainsi que les difficultés rencontrées du fait d’un niveau d’inflation à 2% impulsé  par la Banque Centrale Américaine. Concernant la famille, Jacques de la Rosière rappela la notion de droit de l’enfant face à celle du droit à l’enfant. Une notion à traiter avec hauteur de vue au regard des polémiques qu’elle suscite. Enfin, lors d’un long plaidoyer en faveur d’une prise de conscience environnementale Jacques de la Rosière rappela que la croissance démographique (plus de 7 milliards d’habitants) était corrélée à celle des gaz à effets de serre. Pour endiguer cette pollution seule une coopération internationale pleine et entière sera en mesure d’y mettre un terme. Son discours se conclut sur une mise en garde plus générale : celle de notre imprévoyance égoïste menant au chaos. Pour contrer le chaos le vivre ensemble devrait prendre le pas sur le vivre sa vie ou sur la promotion de la subjectivité individuelle.

Porté avec érudition par Dominique Perrault de l’Académie des beaux-arts, urbaniste et architecte reconnu internationalement, le second discours aborda le chaos en tant que nature de notre nature. En effet, même si tout semble opposer l’architecture au chaos, ce chaos serait néanmoins l’autre de l’architecture. Une pensée forte et complexe que Dominique Perrault choisit d’étayer par de nombreux exemples, citant notamment le désordre des grandes villes ou le désordre numérique avec ses milliards de données. Pour affronter ce chaos, cet autre impensable, il s’agit d’apprendre à le connaître ou à le considérer comme une terre nourricière permettant des actes de création. A l’origine divinité grecque incarnant le gouffre d’où sortent toutes les choses, le chaos serait pour Dominique Perrault ce nous porteur de promesse.

L’Académie des sciences ne fut pas en reste grâce au troisième discours sur le chaos du système solaire proposé par Jacques Laskar de l’Académie des sciences. Astronome et directeur de recherche au CNRS, Jacques Laskar revint sur ses premières années en tant que chercheur quand il fut à l’origine d’une mise en évidence majeure : le mouvement chaotique des planètes du système solaire. Avec beaucoup d’humour, il rappela le commentaire du jury lors de sa démonstration : si cela était vrai cela se saurait. A l’aide d’images et de graphiques accessibles, Jacques Laskar évoqua les découvertes de ses pairs, de Newton à Poincaré qui fut le premier scientifique à mettre en évidence l’instabilité du système planétaire. Une instabilité qui pourrait d’ici quelques milliards d’années générer des collusions entre les planètes, la terre n’étant pas épargnée. Car comme l’écrivit Poincaré : il peut arriver que de petites différences dans les phénomènes initiaux en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux.

Le quatrième discours fut une déclaration d’amour aux hellénistes. Porté avec panache par Charles de Lamberterie de l’Académie des inscriptions et belles lettres, il aborda l’histoire du mot chaos. Une histoire qui prend sa source en Grèce, mère de notre civilisation. Au tout début naquit Chaos. Le chaos est ce néant qui précède l’être.  Pour contrer ce chaos nous avons créé non pas la plénitude mais l’ordre. Le mot cosmos lui-même désignant mise en ordre. Nous serions donc les héritiers de cette tradition d’ordre auquel s’oppose le chaos. Un mot qui a fait du chemin et dont on retrouve des héritiers dans notre langage. Pêle-mêle Charles de Lamberterie cita : tohu-bohu, cahin-caha, cohue ou encore chahut et plus surprenant le mot gaz, cette vapeur invisible qui dit l’état du monde antérieur. Un passionnant voyage éthymologique.

Enfin, les mots de la fin furent dévolus à Dany Lafferière de l’Académie française. Auteur Haïtien francophone de cœur multi-récompensé par ses pairs, Dany Lafferière revint lors d’un discours flamboyant sur son expérience personnelle du chaos. Celle encore douloureuse du tremblement de terre de Port au Prince en Haïti auquel il assista puisqu’il se trouvait dans la capitale Haïtienne le 12 janvier 2010. Convoquant les lumières de Voltaire et celles de son poème sur le désastre de Lisbonne, Dany Lafferière fut comme son prédécesseur logé dans l’œil de la catastrophe. Il fut aussi le seul à écrire durant ce séisme qui fit s’envoler sa ville. Il écrivit le silence angoissant de cette ville d’ordinaire si bavarde et émotive. Il écrivit la certitude de mourir qui abolit toute peur car « on ne peut mourir que si on est seul dans sa mort ». Il écrivit cette histoire qui ne concerne que ceux qui ne savent pas voler. La gorge nouée par l’émotion Dany Lafferière termina son discours sur ces mots, ceux des survivants croisés sur les routes dévastées de Port-au-Prince : on salue les vivants.

C’est en musique que prit fin la séance annuelle de rentrée des Académies, celle si belle et tragique de Chostakovitch interprétée par un quatuor à cordes.